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Illectronisme : tous égaux devant la révolution numérique ?

Le numérique a révolutionné nos modes de vie et notre façon d'appréhender le présent et l'avenir, mais induit aussi des inégalités : comment diversité et inclusion peuvent-ils être synonyme de performance ?

Des externalités négatives de l'industrie numérique

Le numérique a révolutionné nos modes de vie et notre façon d'appréhender notre rapport au passé, au présent et à l'avenir. On parle de quatrième révolution industrielle, qui serait entièrement guidée par les données. Or, comme toutes les révolutions technologiques précédentes, elle ouvre de nouvelles opportunités, permet de s'enrichir intellectuellement et financièrement, de développer de nouveaux usages, etc. Mais le digital évolue-t-il de façon inclusive ?

Aujourd'hui, les entreprises, les administrations et les associations sont poussées à prendre le virage de la digitalisation, sans toujours le voir comme un levier d'insertion sociale et économique, même si cela s'inscrit dans une démarche de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). La raison principale ? Très souvent, le manque d'information mais aussi, le fait qu'il existe peu d'outils permettant de mesurer l'inclusion numérique et l'impact social du numérique.

Or, il se trouve que l'inclusion est un facteur de performance. Selon l'[étude de Deloitte](https://www2.deloitte.com/fr/fr /pages/talents-et-ressources-humaines/articles/diversite-et-inclusion.html "Accès au résumé de l'étude Deloitte") Diversité et Inclusion : Comment faire de l'inclusion un levier de transformation des organisations ?, l'inclusion est un facteur d'innovation et de transformation, de développement business, grâce à une meilleure compréhension des besoins clients et d'engagement, en réponse aux attentes des collaborateurs. «Les entreprises qui pratiquent une politique inclusive génèrent jusqu'à 30% de chiffre d'affaires supplémentaire par salaire et une conversation supérieure à celle de leurs concurrents».

L'illectronisme, une exclusion numérique qui touche 17% de la population française

L'illectronisme est une forme d'exclusion à proprement parler, qui se traduit de deux façons : premièrement, par la compétence et deuxièmement, par l'accès. L'exclusion par compétence est aussi bien une difficulté à appréhender les outils numériques, que les logiciels, les codes du numérique ou les démarches administratives dématérialisées. Quant à l'exclusion par l'accès, il s'agit d'une difficulté à accéder au matériel nécessaire pour être tout simplement fonctionnel dans une société du tout digital (accès à un smartphone dernier cri, accès à un poste informatique, au haut débit). Comme toute forme d'exclusion, il n'est pas ici question des individus qui choisissent de changer leur mode de consommation (ex : tendance slow life ou démarche consciente de responsabilité sociétale et environnementale), mais des individus pour qui l'écart entre leur mode de vie et l'exigence du tout numérique s'agrandit, sans qu'ils n'aient eu la possibilité d'exercer leur droit de choisir leur mode de vie dans le cadre du virage numérique, ce qui affecte à la fois l'autonomie économique, la participation à la vie démocratique et l'inclusion sociale.

Selon un rapport de l'INSEE datant de 2019, l'illectronisme touche 17% de la population française (2% seulement touche les usagers d'internet et les 15% restants concernent les non-usagers).

Qui est concerné par l'illectronisme ?

Toutes les catégories socioprofessionnelles. Depuis la pandémie liée à la Covid-19, la digitalisation s'est accentuée et est devenue pratiquement une norme, bouleversant même les codes du travail et de la socialisation, ce qui a eu pour effet de renforcer l'écart qui existait déjà avant la crise et par ricochet, d'augmenter la précarisation des individus en situation d'illectronisme.

On aurait tendance à penser que les aînés sont les plus touchés, puisque l'âge (ou plutôt la génération) est l'un des premiers facteurs, mais il ne faut pas sous-estimer la complexité de l'exclusion numérique chez les jeunes, qui se manifeste notamment lorsque vient le temps de rechercher des informations administratives ou d'envoyer des mails professionnels, par exemple. Les jeunes, même s'ils sont nés avec le numérique, peuvent rencontrer également des difficultés. Certes, ils savent réaliser des tâches telles que passer des commandes, suivre les cours, parler entre eux via Twitch, Discord ou bien Twitter mais lorsqu'ils sont confrontés à une difficulté face au numérique, cela peut déclencher un malaise qui peut générer de l'auto-exclusion.

Après l'âge, le second facteur d'exclusion est le niveau d'études, suivi du niveau de vie.

"Une personne sans diplôme ou titulaire d'un certificat d'études primaires (CEP) et une personne titulaire d'un certificat d'aptitude professionnel (CAP), d'un brevet d'études professionnels (BEP) ou d'un brevet des collèges (BEPC) sont respectivement 4 et 2,5 fois plus susceptibles d'être en situation d'illectronisme qu'une personne ayant effectué des études supérieures. "

Effectivement, les ménages modestes ont deux fois plus de chances d'être en situation d'illectronisme, par rapport aux ménages aisés.

Source : Public Sénat

A l’heure où le numérique fait partie intégrante de notre quotidien et où presque n’importe quelle démarche devient dématérialisée, comme le paiement des factures, les aides sociales, les impôts, etc. Il devient important d’avoir accès à des outils tels que les ordinateurs, tablettes, smartphones, mais aussi à un réseau internet.

L’accessibilité pour une meilleure performance numérique

L’accessibilité, c’est prendre en compte toutes les capacités physiques et mentales de chaque utilisateur, ainsi que son environnement et ses conditions d’utilisation.

Elle constitue également un levier de ROI (retour sur investissement) pour les entreprises. En effet, plus les points de rupture sont supprimés ou évités, plus le nombre de clients potentiels augmente, car leur parcours d’utilisation est adapté.

Les personnes atteintes d’handicaps moteurs peuvent avoir du mal à utiliser certains appareils : avoir accès à un site web ou des applications mobile à une main est beaucoup plus accessible et confortable. Prenons pour exemple les personnes à mobilité réduite : il s’agirait de concevoir des appareils accessibles à une main, un doigt ou bien à la parole. Il existe aussi des handicaps non visibles qui participent à l’illectronisme, comme le daltonisme.

Le daltonisme touche 8% des hommes et 0,5% des femmes en France. Quelles en sont les conséquences ? L’incapacité à distinguer correctement les couleurs implique que lors de leur expérience d’utilisation, les personnes atteintes de daltonisme ont une toute autre interface d’utilisation, beaucoup moins évidente. Par exemple, les progressions de couleurs sont compliquées à visualiser, ce qui peut rendre l’expérience d’utilisation inconfortable, voire inaccessible.

Quant aux dyslexiques ayant un trouble spécifique de la lecture, cela se concrétise par des difficultés dans l’acquisition du langage écrit et dans l’automatisation des mécanismes pour la maitrise de l’écrit : lecture, l’écriture, l’orthographe.

N’avez-vous jamais été confronté à des mots de passe d’identification du type : ZyH35Ee et avoir eu du mal à vous identifier au bout de la première fois même avec l’option son ?

Toutes les personnes aux prises avec d’un manque d’accessibilité face au numérique n’ont pas forcément une fragilité face au numérique, donc ne souffrent pas forcément d’illectronisme. L’illectronisme est simplement une autre facette du manque d’accessibilité.

Certains sites n’ont pas de supports téléphoniques pour accompagner les problèmes de connexion ou les difficultés d'accès. Les personnes aux prises avec ces difficultés renoncent fréquemment à effectuer leurs démarches en ligne, principalement pour ces raisons. Cela peut se manifester par l’accès aux pages : les cookies en premier plan, les fenêtres de chat, les pages pour d’autres services.

La médiation numérique et la formation peuvent contribuer à rendre le numérique plus accessible.

L’apprentissage reste le point essentiel de la réduction de la fracture numérique. Emmaüs, l'association ACIAH ou la Grande école du numérique, sont des exemples d'organisations qui proposent des solutions à ces enjeux.

Le gouvernement a commencé à s’emparer du sujet en mettant en place différentes actions. Celles-ci passent par la mise en place d'une plateforme d’accompagnement pour l'accessibilité numérique au quotidien, couplée à un support téléphonie. Par exemple, le portail Solidarité numérique.

Le Sénat a présenté dans un excellent rapport sur l’illectronisme en Septembre 2020, 45 mesures pour lutter contre l’illectronisme. Vous pouvez retrouver une synthèse de ce rapport et le rapport complet en ligne ici.

La MEDNUM agit également au quotidien en faisant de la médiation numérique, afin d’accompagner la transition numérique des territoires.

Améliorer l’empreinte sociale des services numériques

L’illectronisme est un vrai enjeu de société. Selon l’INSEE (Rapport sur l'enquête de 2019 sur les conditions de vie des ménages), 38% de la population manque d’au moins une compétence numérique clé.

C'est également un enjeu pour les entreprises. Des parcours accessibles à tous, ce sont plus de prospects, plus d'usagers, plus de clients satisfaits au final, au-delà même de l'enjeu sociétal.

L'inclusion est donc un facteur de succès, pour qui veut s'en servir de levier de performance globale dans une optique de Responsabilité sociétale des entreprises.

Auteure : Clémence Marin

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